Que les caisses sociales octroient, dans des circonstances particulières et à concurrence de leurs ressources, des crédits à des taux préférentiels à leurs affiliés, cela peut entrer dans leurs prérogatives sociales. Mais qu’elles viennent à marcher sur les plates-bandes des banques et se positionner dans un marché de crédits qui est l’apanage exclusif des institutions financières, cela prête à équivoque.
L’annonce par le ministre des Affaires sociales Malek Zehi de revoir à la hausse le montant des crédits accordés par les caisses sociales, si elle a ravi les affiliés sociaux elle a, dans le même temps, suscité beaucoup de questionnements quant à son opportunité et son timing, surtout sa faisabilité et ses chances de sa réussite.
Cela dit, nous ne contestons aucunement l’opportunité de cette mesure et sa portée sociale, ce sont plutôt les moyens financiers que requiert cette opération qui alimente notre appréhension quant aux chances de la voir aboutir.
Des déficits abyssaux !
La première question qui nous revient à l’esprit : en décidant de cette mesure qui doit entrer en vigueur à partir du 1er février 2024, le ministère des Affaires sociales s’est-il donné les moyens de sa politique ? Nous disons cela parce qu’à ce jour, aucun responsable ne s’est exprimé sur la partie qui financera lesdits crédits ?
Les caisses sociales sont incapables de le faire. Les chiffres en témoignent : le déficit cumulé des deux caisses culmine à 5,62 milliards de dinars en 2022. La CNSS en accuse la grande partie (plus de 5 Mds de dinars). La CNRPS n’est pas moins lotie et sans le concours de l’Etat elle aurait été mise à mal par le déficit qu’elle traîne déjà.
C’est clair : les deux caisses n’ont pas de ressources pour financer les crédits, encore heureux qu’elles assurent – à temps – les pensions des retraités et autres prestations sociales.
La seule solution est le concours de l’Etat. Mais celui-ci a-t-il budgétisé cette mesure dans la LF 2024 et dans le Budget de l’Etat ? Nous ne relevons aucune trace de cela. Va-t-il concéder des rallonges pour concrétiser cette opération ? Oui, il peut le faire mais par le biais de quelles ressources ? Déjà, il paraît que le taux de 1% au titre de la cotisation de solidarité déduite des salaires n’est pas affecté aux caisses sociales !
L’Etat recourra-t-il à des lignes de crédit extérieures pour financer cette opération ? Cela peut paraître « anecdotique » au regard du volume de l’endettement de la Tunisie.
Quels impacts sur l’activité des banques ?
L’autre questionnement suscité par cette mesure - si elle vient à être appliquée - a trait à l’impact qu’elle aura sur l’activité des banques. Comment celles-ci vont-elles, dorénavant, se positionner sur le marché des crédits avec cette nouvelle donne ?
Vont-elles concéder des points de pourcentage sur le taux d’intérêt pour se rapprocher de celui qui sera appliqué par les caisses sociales ?
A titre d’exemple, actuellement, pour un prêt logement de 15.000 dinars, la CNSS applique un taux d'intérêt de 6,75% l'an. Les banques vont-elle pouvoir aller au-dessous du taux de marché monétaire (le TMM se situe à plus ou moins 8%) ? Il est insensé de croire à ce que les institutions financières prêtent de l’argent à un taux inférieur à celui du niveau de l’inflation (9%).
A ce titre, nous sommes encore dans l’attente de réactions émanant de la sphère bancaire et financière par rapport à cette mesure. L’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers (APTBEF) n’a pas encore réagi, encore moins la BCT sensée assurer la politique monétaire du pays et s’assurer qu’une concurrence saine soit établie entre tous les acteurs économiques.
Or, en prêtant à un taux inférieur à celui du TMM, les caisses sociales ne sont-elles pas en train d’enfreindre cette règle ?
Chahir Chakroun