Fondée en 1896 et dirigée par les Salésiens de Don Bosco, l'église du Rosaire, désaffectée depuis les années soixante, est aujourd'hui en ruines.
Comment évoquer l'église du Rosaire, si chère à mon cœur, ne serait-ce que par le souvenir des cloches dont les sonorités parvenaient jusqu'à ma chambre d'enfant ?
Je pourrais le faire sèchement en alignant les dates et les noms, en remontant la généalogie des prêtres salésiens jusqu'à Don Joséphidis, en rapportant les travaux et les jours de la communauté et des paroissiens.
Je pourrais aussi le faire en me remémorant l'étrange bâtiment qui dominait une rue étriquée et commandait un quartier populaire, habité par des familles d'origine sicilienne.
Que de fois n'ai-je traversé cette rue de l'École où se trouvait le magasin Spoutnik Alaoui et qui menait à l'un des cinémas de mon quartier : celui de la rue Sidi El Benna ! C'est dans ce cinéma qui servait aussi de salle des fêtes que mes parents se sont mariés et c'est là que, certains samedis, je venais fiévreusement regarder des films d'aventure, assis sur des banquettes en bois, dans une salle rudimentaire dont les murs étaient recouverts d'affiches de films.
Naguère, la rue Essabaghine, le souk des Teinturiers, était majoritairement peuplée de familles siciliennes dont les enfants allaient à l'école des Maristes à la rue d'Algérie. Je me souviens des Bertolino, Carollo, Bonfiglio, D'Aleo ou Agricola qui furent dans mes classes. Je me souviens aussi des bouchers, tailleurs, boulangers, coiffeurs et pâtissiers, tous Siciliens enracinés en Tunisie.
Par un clin d'œil dont seule l'histoire a le secret, les Salésiens de Don Bosco sont désormais les successeurs des Marianistes, à l'école de la rue d'Algérie. C'est là un véritable retour du pendule car ils étaient présents dans ce quartier depuis 1882. En cette époque lointaine, ils étaient déjà présents à la chapelle de Santa Lucia dei Siciliani, qui dépendait de l'église Sainte Croix, la paroisse historique de la médina de Tunis. La chapelle était installée dans un modeste magasin à la rue de la Sebkha.
Cette rue et ses alentours regorgaient également de familles siciliennes car s'il a existé une Petite Sicile à Tunis et une autre à la Goulette, l'histoire devrait aussi retenir cette Grande Sicile qui se trouvait au mitan de Bab Bhar, Bab Djedid et Bab Al Jazira.
J'y reviendrai un jour prochain afin d'évoquer un quartier à nul autre pareil, ses méandres siciliens et ses rituels catholiques portés par les nombreuses congrégations qui œuvraient dans ces parages.
Mariage en l'église du Rosaire
Je n'ai franchi le seuil de l'église du Rosaire qu'en 1977. Désaffecté depuis le Modus Vivendi de 1964, l'ancien lieu de culte abritait alors un centre culturel. Avec quelques amis, nous y avions monté le "Montserrat" de Roblès et vécu une saison dans ces lieux où l'austère le disputait à l'absence.
Je me souviens avoir passé des heures, assis près de la restitution de la grotte de Lourdes, à déchiffrer les reconnaissances placardées sur les murs tout en admirant les volumes de l'édifice.
Le petit théâtre du Rosaire
Je garde encore la nostalgie de ces moments de contemplation de ce qui fut le palais Rachid avant d'abriter le palais de Justice puis d'être acquis par les Salésiens.
L'église du Rosaire a été inaugurée le 6 octobre 1896 et aura donc vécu soixante-huit ans dont témoignent encore des photographies de mariages ou de communions. Parfois, j'observe ces images fanées avec beaucoup de tendresse : elles me permettent de conjurer les ruines actuelles et l'effondrement progressif d'une église que domine encore son clocher.
H.B.