Lors de la quatrième édition du Festival International du Film de la Mer Rouge (RSIFF), Thierry Frémaux, figure incontournable du cinéma mondial, a captivé l’auditoire avec une master class intitulée « Cinefilomania ». Celui qui incarne, depuis plus de vingt ans, l’âme du Festival de Cannes a partagé son parcours hors du commun, ses réflexions sur le cinéma, et les anecdotes qui façonnent sa vision unique du septième art.
Originaire de Lyon, berceau des frères Lumière, Thierry Frémaux est tombé amoureux du cinéma dès son plus jeune âge, influencé par son père, membre d’un ciné-club. Ce dernier l’initie à des œuvres qui marqueront à jamais son imaginaire. Poussé par cette passion, il étudie l’histoire sociale et obtient une maîtrise avec un mémoire consacré aux débuts de la revuecinématographique Positif. Il amorce ensuite un DEA sur l’histoire sociale du cinéma, qu’il interrompt lorsqu’il est recruté par l’Institut Lumière, fondé par Bertrand Tavernier.
L’Institut Lumière constitue une étape fondatrice dans sa carrière. « J’avais 20 ans, je suis allé demander s’ils avaient besoin d’aide. J’ai été engagé comme volontaire. J’étais un esclave, mais un esclave heureux. » Ce rôle, d’abord bénévole, lui ouvre les portes du monde du cinéma et le pousse à développer une éthique professionnelle fondée sur la passion et l’humilité. À Lyon, il contribue à restaurer des œuvres majeures et à faire revivre l’héritage des frères Lumière, ce qui nourrit son amour pour la salle de cinéma comme lieu de communion artistique.
En 1979, Thierry Frémaux se rend pour la première fois au Festival de Cannes. À l’époque, il n’a ni accréditation, ni contact, ni même de quoi se loger correctement. Il dort dans sa voiture, porté par un amour viscéral pour le cinéma et une fascination pour ce festival mythique. Ce premier contact avec Cannes, bien que modeste, scelle une relation qui deviendra l’élément central de sa vie professionnelle.
Ce n’est qu’après plusieurs propositions et refus qu’il accepte finalement de rejoindre le Festival de Cannes, où il devient délégué général en 2007. « On m’a d’abord proposé de diriger la Cinémathèque française, mais j’ai dit non. Puis, on m’a demandé d’aller à Cannes. J’ai hésité avant d’accepter trois ans plus tard. » Aujourd’hui, il partage son temps entre Cannes et Lyon, un équilibre qu’il considère comme essentiel.
Lors de sa master class, il explique son approche unique en matière de sélection : il ne choisit pas un film uniquement pour sa qualité intrinsèque, mais pour ce qu’il peut apporter au festival. « Mon rôle n’est pas de sélectionner ce que j’aime personnellement, mais ce qui mérite d’être montré à Cannes. Parfois, il y a des films que je n’aime pas particulièrement, mais qui ont leur place ici. À l’inverse, certains excellents films n’y conviennent pas. »
Pour Thierry Frémaux, Cannes est bien plus qu’un simple festival : c’est un microcosme où cohabitent réalisateurs, acteurs, journalistes, critiques, et même les habitants et restaurateurs locaux. « Cannes, c’est un festival mondial mais qui a lieu en France. C’est un lieu où les grands films protègent les petits, où la qualité artistique est toujours au centre. »
Les tapis rouges de Cannes, qu’il qualifie de « spectacle à part entière », ne sont pas qu’un simple défilé de célébrités. Ils constituent un moment de communion entre les artistes et le public, une mise en lumière du travail acharné derrière chaque film présenté. Cependant, il n’hésite pas à rappeler que la critique, les débats et les discussions animées entre journalistes et spectateurs jouent également un rôle crucial dans l’identité du festival.
Le rôle de Thierry Frémaux est également marqué par des décisions parfois controversées, mais visionnaires. Il évoque notamment son choix de programmer Devdas en 2002, un film Bollywood grand public qui avait divisé l’opinion. « Ce n’était pas du cinéma indien d’auteur, mais du cinéma populaire. Pourtant, c’était un chef-d’œuvre. Je regrette de ne pas l’avoir mis en compétition officielle. »
Plus récemment, il a pris la décision de présenter The Substance en compétition officielle, un film d’horreur du genre « body horror », qu’il estimait mal servi par des sections comme les Midnight Screenings. « Un film doit recevoir l’attention qu’il mérite, peu importe son genre. » Ce choix reflète sa volonté de défendre la diversité et de redéfinir les frontières de ce qui est considéré comme « légitime » dans un festival aussi prestigieux que Cannes.
Le processus de sélection des films est un exercice rigoureux, presque exténuant. « En avril, mes collaborateurs et moi avons nos yeux dans un état lamentable à force de visionner des films. Parfois, nous devons faire une pause pour préserver notre jugement. » Malgré cette fatigue, Thierry Frémaux reste animé par l’excitation de découvrir « le beau film », celui qui justifie tous les sacrifices.
Interrogé sur l’avenir du cinéma face aux défis posés par les plateformes de streaming et la pandémie, il demeure optimiste. Pour lui, l’expérience collective de la salle de cinéma est irremplaçable. « Les frères Lumière ont inventé non seulement le cinéma, mais aussi l’art de partager des émotions sur grand écran. Cela ne disparaîtra jamais. »
Thierry Frémaux a également exprimé son admiration pour le RSIFF, qu’il considère comme une plateforme émergente d’une grande importance pour le cinéma arabe et africain. « Ce festival a tout pour devenir un rendez-vous incontournable, tant par la qualité de ses projections que par la diversité de sa sélection. »
Au-delà des chiffres et des réussites, Thierry Frémaux incarne une philosophie du cinéma fondée sur la passion, l’audace et le respect de l’art. Lorsqu’on lui demande ce qu’il conseille aux jeunes cinéastes, il répond simplement : « Faites un bon film. Peu importe son genre, il finira par trouver sa place. »
Son parcours, entre Lyon et Cannes, entre les tapis rouges et les salles obscures, est un hommage vibrant à la force du cinéma comme vecteur d’émotion et d’humanité. Par ses choix, ses récits et son engagement, il inspire une nouvelle génération de cinéphiles à rêver grand, tout en gardant les pieds sur terre.
Neïla Driss