Cannes 2025 - Un homme, une femme, une étreinte, deux affiches

Cannes 2025 - Un homme, une femme, une étreinte, deux affiches
Culture

Un homme. Une femme. Une étreinte. Deux affiches. Une scène de vingt secondes, devenue une image éternelle. Pour la première fois de son histoire, le Festival de Cannes choisit de célébrer son rendez-vous annuel avec le cinéma mondial à travers une double affiche officielle. Deux visuels complémentaires, réunis dans leur élan, dans leur mouvement, dans cette étreinte qui est restée gravée dans la mémoire collective du 7e art depuis près de soixante ans. Celle d’Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant dans Un homme et une femme de Claude Lelouch.



La mer, le vent, la course, le doute, le frisson du désir et l’abandon dans les bras de l’autre. C’est toute la puissance fragile de la rencontre que ces images condensent. Tirées du film culte de Lelouch, récompensé par la Palme d’or en 1966 puis par deux Oscars en 1967, elles sont bien plus que de simples images d’archives. Elles résonnent aujourd’hui avec une force nouvelle, choisies pour incarner l’édition 2025 du Festival, qui se tiendra du 13 au 24 mai. Non pas une affiche, mais deux. Un geste fort, inédit, presque manifeste.

 

 

Une scène, deux regards, une émotion partagée

L’image de cette étreinte, filmée sur une plage déserte, baignée par un ciel tourmenté et enveloppée d’une lumière laiteuse, évoque le sublime éphémère. Une poignée de secondes — vingt tout au plus — dans un film né d’un tournage rapide (trois semaines seulement), d’une idée surgie trois mois auparavant, d’un pari presque improvisé. Et pourtant, ces quelques instants auront suffi à inscrire Un homme et une femme dans l’éternité du cinéma.

Claude Lelouch a souvent raconté la fulgurance de ce projet, la façon dont l’alchimie entre ses deux acteurs principaux — Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant — a façonné, au fil des improvisations et des silences, un film qui bouleversa le public par sa sincérité. Aujourd’hui, cette scène mythique revient en lumière, réinterprétée graphiquement par le studio Hartland Villa. Le choix chromatique, les dégradés irisés, la douceur vaporeuse des contours réactivent l’intensité d’une passion amoureuse dans un monde qui semble chaque jour un peu plus désenchanté.

Un hommage à deux icônes disparues

Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant, tous deux disparus, sont ici convoqués dans une dernière danse. Ce double portrait n’est pas seulement un clin d’œil à une œuvre culte, mais aussi un hommage vibrant à deux figures majeures du cinéma français et international. Elle, auréolée du Prix d’interprétation à Cannes en 1980 pour Le Saut dans le vide de Marco Bellocchio. Lui, couronné en 1969 pour Z de Costa-Gavras. Deux parcours singuliers, exigeants, marqués par la discrétion, l’élégance et une forme de mélancolie lumineuse.

Le Festival leur rend ainsi hommage à travers ce choix de visuel double, où chaque affiche semble répondre à l’autre : d’un côté, le visage rayonnant de Trintignant dans l’embrassade ; de l’autre, les yeux mi-clos d’Anouk Aimée, les cheveux emportés par le vent, dans un geste de repli aussi bien que d’abandon. Deux affiches, deux plans d’un même instant, deux lectures d’un même frisson.

Une vision poétique, politique et humaine du cinéma

Au-delà de la simple beauté de ces images, le communiqué du Festival insiste sur le sens de cette double affiche : "Quand l’époque semble vouloir séparer, cloisonner ou soumettre, le Festival de Cannes souhaite (ré)unir." Cette volonté d’union, de fusion, de mouvement partagé, est une réponse subtile aux fractures de notre temps. Elle exprime un désir de résister à la dislocation du monde par la puissance de l’amour, du cinéma et de l’humanité.

La citation extraite du film, choisie par le Festival, résonne, elle aussi, avec justesse :

— Lui : « Dans la vie, quand une chose n’est pas sérieuse, on dit c’est du cinéma. Pourquoi vous pensez qu’on ne prend pas le cinéma au sérieux ? »
— Elle : « Peut-être parce qu’on y va que quand tout va bien ? »
— Lui : « Alors vous pensez qu’on devrait y aller quand tout va mal ? »
— Elle : « Pourquoi pas ? »

Cet échange, simple en apparence, interroge le rôle du cinéma dans nos vies : refuge, catharsis, rêve éveillé, miroir de notre chaos ou projection de nos espérances. Le Festival de Cannes 2025 ne se contente pas de célébrer le cinéma comme un art : il le revendique comme un acte de résistance sensible, une manière de réenchanter la réalité à travers des fragments d’émotion pure.

 

 

Une direction artistique empreinte de délicatesse

La création graphique de Hartland Villa (Lionel Avignon et Stefan de Vivies), qui signe cette campagne, prolonge le geste du film originel. Les couleurs pastel, les textures floues, les halos de lumière rose, orange et bleue évoquent une caresse visuelle, une chaleur diffuse qui semble émaner non pas du ciel, mais du lien entre ces deux êtres. "Cette lumière ne vient plus du ciel, aujourd’hui troublé de toutes parts par une actualité funeste ; elle surgit de la fusion irradiante de deux êtres qui réconcilient avec la vie."

Dans un monde saturé d’images figées et de slogans criards, cette affiche se distingue par sa tendresse silencieuse, son humanité radieuse. Elle n’impose rien, elle propose un souvenir, une émotion, une possibilité. Elle convoque non pas l’icône, mais le geste, non pas la posture, mais l’instant. Et c’est précisément cela que le cinéma, à son meilleur, sait offrir.

Dans l’un de ses plans les plus célèbres, Claude Lelouch filmait l’empreinte de pas dans le sable, vite effacée par le ressac. L’amour, le souvenir, le cinéma : tout y était déjà. En choisissant de faire de cette étreinte fugace le visage de sa 78e édition, le Festival de Cannes ne célèbre pas la nostalgie. Il rappelle simplement que certaines images ont ce pouvoir mystérieux : elles ne disparaissent pas. Elles continuent de marcher avec nous, même longtemps après que la mer les a recouvertes.

Neïla Driss

 



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